Shelomo Selinger (1928- ) est un sculpteur et dessinateur franco-israélien, établi à Paris depuis 1956.
Il naquit dans la bourgade de Szczakowa, près d'Oswiecim ( Auschwitz), au sein d'une famille juive où il reçut une éducation religieuse traditionnelle, en même temps qu'il suivait la scolarité d'une école publique polonaise. En 1943,il sera déporté avec son père du ghetto de Chrzanow au camp de Faulbrück, en Allemagne. Trois mois plus tard, son père sera assassiné. Shelomo Selinger resta seul dans le camp. Il perdit également sa mère et l'une de ses deux soeurs pendant la Shoah. Il connaîtra neuf camps successifs- Faulbrück, Gröditz, Markstadt, Fünfteichen, Gross-Rosen, Flossenburg, Dresden, Leitmeritz, et enfin Theresienstadt- entrecoupés par deux marches de la mort. C'est à Terezin qu'en 1945 un médecin militaire de l'armée soviétique, libératrice du camp, le trouvera juché sur une pile de cadavres, mais encore animé d'un imperceptible souffle. Cet officier juif transféra le jeune Selinger à l'hôpital militaire de campagne où, à force de soins constants, il lui restitua la vie. La santé recouvrée le laissa amnésique pendant sept ans, sans souvenir aucun des souffrances et horreurs vécues.
En 1946, Shelomo Selinger embarque à La Ciotat pour la Terre promise sur le bateau " Tel Haï ": la Brigade juive de l'armée britannique avait fait traverser clandestinement Allemagne, Belgique et France à tout un groupe de jeunes rescapés. La Royal Navy arraisonnera le bâtiment en pleine mer pour l'amener en rade de Haïfa. Ses passagers illégaux se voient alors emprisonnés dans le camp d'Atlit. Une fois libéré, Shelomo Selinger gagne le kibboutz de Beit-Haarava, tout proche de la mer Morte. La guerre que mène en 1948 l'Etat d'Israël pour son indépendance le fait participer à la bataille de Sodome. Son kibboutz est pris et détruit par les Arabes. Aussi contribue-t-il, en Galilée, à la fondation du kibboutz Kabri. Il y rencontre en 1951 Ruth Shapirovsky, venue au kibboutz accomplir son mois de volontariat avec son lycée de Haïfa. Elle n'a pas 17 ans, il en a 23. Ils se marient en 1954. Un an auparavant, il commençait à rassembler les bribes de sa mémoire perdue et se mettait à sculpter.
Lauréat en 1955 du prix Neumann de la jeune sculpture ( Fondation America-Israël), il décide l'année suivante de partir avec sa femme pour Paris. Il s'inscrit aux Beaux-Arts, où il devient l'élève du sculpteur Marcel Gimond, duquel il apprend le modelage traditionnel de la terre glaise. Parallèlement à ses études , Selinger poursuit son travail de création personnelle commencé en Israël, en gardant sa manière: la taille directe du matériau par ses marteau, ciseau et masse. Trop pauvre pour s'acheter des blocs de pierre, il les cherche dans la zone, autour de Paris. Il y ramasse du granit, dur matériau qui capte si bien la lumière et qui deviendra sa pierre de prédilection. C'est dans l'atelier de Brancusi qu'il fait connaissance avec le grès des Vosges. Le sculpteur roumain lui offrira la moitié d'une meule faite de cette pierre rosâtre, cadeau de " transmission" au jeune Shelomo, qui continue la tradition de la taille directe. Selinger adopte aussi le bois, commençant par le bois de chauffage, plus facile à trouver. Il le travaille avec les outils donnés par le sculpteur animalier Joseph Constant.
Après trois années passées aux Beaux-Arts, sa meilleure école aura été, dit-il, les musées de Paris - le Louvre surtout - et les ateliers des sculpteurs parisiens de l'époque, Zadkine, Arp, Giacometti, et autres. Il n'est pas dû au hasard qu'une " Maternité " - en fait sa femme Ruthy et leur bébé Rami - le fasse reconnaître, en 1958, par le prix Neumann, décerné par la Suisse: Selinger, survivant des camps de la mort, n'a de cesse que de créer de la vie. Cette sculpture fait aujourd'hui partie des collections du Musée d'Art moderne de la Ville de Paris.
Si le Jewish Museum de New York expose, en 1960, sept de ses sculptures, c'est d'abord un homme seul qui, à Paris, le soutiendra et lui mettra le pied à l'étrier, ayant su déceler avec une sûreté d'oeil exemplaire le génie de Selinger: le galeriste Michel Dauberville l'expose en 1962, 1963, et 1965, puis continuera de l'accompagner, quand il prendra possession des murs de la galerie Bernheim-Jeune, avenue Matignon : les expositions de 1972, 1989, 1990, 1995, 1996, 2002 et 2006 sont-là qui en témoignent.
Car la consécration officielle ne se fera vraiment qu'en 1973, quand Selinger remporte le 1er prix du Concours international lancé par un comité public pour le monument du camp de Drancy. Le "Mémorial national des Déportés de France ", tout de granit rose, taillé de sa main pendant deux années entières, sera inauguré en 1976. Le " Mémorial de la Résistance", à La Courneuve, suivra en 1987. Entre temps, il crée le " Requiem pour les Juifs d'Allemagne" (1980), à Bosen, dans la Sarre et le " Monument aux Justes des Nations" de Yad Vashem à Jérusalem (1987). Selinger avait abordé la création monumentale dans des lieux publics dès 1964, avec la sculpture " L'esprit et la matière n°1", qui se dresse à Sainte-Avold ( Moselle) , à laquelle succède, en 1968, "L'esprit et la matière n°2", à Wissembourg ( Bas-Rhin). Mais du superbe marbre blanc " Moîse ou la victoire de la lumière", érigé à Arandjelovac (Serbie) en 1969, il ne reste que la tête: les rayons du prophète furent détruits par la foudre. On ne peut ici citer toutes les oeuvres monumentales de Selinger érigées en plein air, mais retenons tout particulièrement " La tauromachie" des Arènes de Bouscat( Gironde), en 1974, "La danse", un ensemble de 35 jardinières sculptées en 1982, étendu sur les 3600 m2 de la place Basse de l'Esplanade Charles-de-Gaulle , à La Défense ( Hauts-de-Seine), et le " Groupe de 13 sculptures" (1991) du Musée du parc industriel de Tel Haï, en Galilée, qui font partie des 24 granits et basaltes achetés par le Musée en plein air de Tefen, également en Galilée, et installés qui à Tel-Aviv, Omer ou Lavon. Depuis 1998, "Le prophète Elie" est dressé sur le mont Carmel dominant Haïfa.
L'oeuvre sculpté de Selinger comprend à ce jour plus de 800 créations de tous formats et matériaux, qu'il s'agisse de granit, granit rose, grès, marbre, bronze, chêne, acacia, ou merisier, etc, dont 48 sculptures et monuments dans des lieux publics en plein air, parmi lesquels 5 mémoriaux consacrés à la Shoah et à la Résistance. Quarante musées et galeries l'ont exposé dans le monde entier. La présidence de la République française lui acheta deux sculptures pour les offrir au président de la Finlande, lors d'un voyage officiel du président finnois à Paris. C'est d'ailleurs François Mitterrand qui fit Selinger Chevalier de la Légion d'Honneur (1993), Ordre dans lequel Selinger est aujourd'hui Officier( 2006). L'oeuvre graphique, commencée à la même époque que ses débuts de sculpteur, se chiffre aussi par centaines.
Laissons-lui la parole: Mes partenaires de la création sont la matière et la lumière. Toute pierre a son caractère propre qu'il faut prendre en considération, et je l'observe longuement pour déceler la sculpture qu'elle cache en elle. Mon travail est de lui ouvrir des fenêtres pour que la clarté y pénètre, tant les passages de l'ombre à la lumière sont le secret de la sculpture. Dans mes créations sur bois, je suis guidé par les formes que la nature leur a octroyées, et je cherche à faire jaillir une plastique sur laquelle la lumière puisse éclater. Je suis parfois étonné de constater que la structure même du bois, ses veines et fibres ligneuses, participent indépendamment de moi à la création. Je travaille en taille directe. Mes instruments sont mon marteau, mon ciseau et mes mains. Je n'ai jamais trouvé mieux pour réfléchir et faire passer les sensations que j'éprouve. Je n'ai jamais utilisé de machine: les procédés mécaniques sont par trop autonomes et rapides. Ma soif de liberté non assouvie depuis mon vécu dans les camps trouve aussi son expression dans ce que je crée, toujours en quête de la lumière. La taille directe, dans la pierre ou le bois, témoigne constamment du prisonnier qui creuse son tunnel vers la libération. Cependant, le captif qui fore, fouit et excave croit qu'il ne sera libre qu'une fois son percement achevé, et son chemin vers la lumière parcouru. De fait, il n'est libre ni avant de le terminer, ni après être sorti au-dehors. Ma liberté est dans l'acte de creuser, ma liberté, c'est la taille. Une fois l'oeuvre terminée, je commence aussitôt une autre sculpture. Jamais je ne me suis pris en défaut d'inspiration, ni de sujet.
OEuvre
Son travail aborde les thèmes de la famille, de la musique, de la
Bible. Il réalise de nombreuses oeuvres sur le souvenir, comme
Le mémorial dédié aux déportés du Camp de Drancy (granit, 1976),
Le Monument à la Résistance de
La Courneuve (granit, 1987),
Le Requiem aux Juifs d'Allemagne (grès, 1980) à Bosen, près de
Sarrebruck en Allemagne,
Le Monument aux Justes parmi les Nations à Yad Vashem en Israël (granit, 1987).
Voir aussi
Liens externes
Source
- L'Univers du sculpteur Shelomo Selinger, 1998, éditions Ferré (collection Sites, Cités et Collections d'art). Texte de Marie-Françoise Bonicel, biographie par Ruth Selinger et photographies de Felipe Ferré. ISBN 2-905556-13-7